AMIS DES TÉNÈBRES

Par Marcabru Dans LA CHANSON DE MARCABRU

Un soir de feu, la lune dans ma chair :
Je ferme les yeux, moi, le ciel, la terre
Et mon âme me transporte, et me berce
Et m’agresse, rêve étoilé me blesse
En des contrées jadis imaginées
Embrassées mais soudain si embrasées
De tourbillons de pluie de boue de brumes.
Images étouffées et engouffrées
Par les esprits de glace et d’écume.
Leurs grâces sensuelles émerveillées
De leur vacarme sensoriel. Paumés,
Ils pleurent, rôdent et crient avec le vent.
Les tableaux apparus sont violents.
Les fantômes lugubres et furtifs
De nos lords perdus, espoir fugitif.
Au profond des lacs comme le gouffre
Sommeillent leurs lumières populaires,
Et elle danse la Lorelei qui souffre
D’envoyer son bel amant en enfer.
Du haut des collines un fluide indolent
Du sang pourpre des femmes de Satan
Infidèles, égorgées, acculées
En tous nos bons désirs scatologiques
Suinte comme un torrent de larmes ivres
Vers la vieille église en ruine et brûlée.
Tous les survivants y sont enterrés
Depuis si longtemps ! Amis des ténèbres.
Pourtant la créature légendaire ;
Sylphide blanche et rayonnante amie
De l’enfer et se perd en rêveries.
Blanche et rayonnante aura des Cieux
Flotte à jamais son teint délicieux
Vers le champ des croix de bois. Eveillées
Les lueurs de mes rêves esquissés.
Cette beauté divine et oubliée
Caresse les bois sculptés, effilés,
Entrecroisés de la terre glaciale
Et noyé du sang déjà noir des âmes
Hérétiques. S’élève une lueur
Sourde et frissonnante, rugit l’ardeur !
Déjà la peur des vieux manoirs sournois
Masque le dernier rayon de la foi,
Du soleil évaporé, irradie
Le cimetière de cette odeur bénie,
Senteur des êtres abîmés et si mornes…
Décomposées sont leurs livides formes.
La lueur aux traits si fins et discrets,
Son bleu visage d’enfant hérésiarque
Enlace cette tombe de secrets.
Elle s’agenouille sur le caveau de marbre
Le violent grondement devient certain ;
Une larme pure versée sur la croix
De notre ange et des lubriques catins.
La silhouette gracile, en émoi
A corps et à pleurs de larmes et de râles ;
Enfin elle se dessine et se révèle
Blanche femme liquoreuse et si belle,
Vogue au vent, maintenant léger baiser.
Lui, apparition terrible et damnée,
Surgi de cette tombe frémissante ;
Il lui prend la main, tâchée d’amarante,
Fébriles sourires d’orgies sincères,
Désir immensément dans leurs viscères
Ils se regardent amour et se souviennent
Main dans la main ils se tournent vers moi,
Les deux spectres s’unissent en un doux émoi
Et montrent la tombe du doigt. Elle vit.
Les deux amants retrouvés lisent un signe
Sur la croix de marbre blanc -Marcabru-
-Le troubadour à jamais disparu-
Je détourne les yeux en sueur la nuit !
J’ai peur des obsessions et des domaines
Ce rêve, peur qui s’immisce dans les veines,
La peur confuse en mon réveil se noie ;
Celle, je me souviens, des manoirs sournois.

juillet – octobre 1989

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