LE POÈME DU CONTESTATAIRE

Par Marcabru Dans LES TABLEAUX DE LA MISERICORDE

L’âme du contestataire n’est pas invincible dans la dictature. Voilà des heures qu’il gémit, seul, au fond du cachot ; froid et humide… Il le voit sans cesse noir et vide comme l’espace : c’est pour lui, face à ces images d’effroi, l’instant de remettre en question le vide divin. L’espoir a été broyé sous les instruments de torture du régime, il met son reste de vie entre les mains d’un surnaturel fragile, cette impossible délivrance. Il se rêve lâche, mais libre.

Dans un écho criard, la porte s’ouvre ; enfin un peu de lumière ! Les geôliers du régime s’avancent et l’entraînent dans la petite salle au fond du corridor. Deux carabiniers posent leurs armes sur les tempes du poète. On l’abrutit de lumière.

Il maudit sa vie, elle va le crever. Il aimait la justice et l’humanité. Pourtant il respire le parfum âcre de son sang et de sa mort. Son imagination bouillonnante et crépitante projette en son intérieur mille cris, images et sons :

– Je vais donc mourir…

« – Parle ! »

Son âme va et geint comme un volcan.

Sa peine est incommensurable.

– Peut-être trouvera-t-on mes textes ? Non, ça sert à rien salaud, t’es mort, t’es vide. Je hais mes idéaux et leurs absences.

– C’est beau ce que je pense. Personne ne l’entendra, ne s’y acharnera… Après tout, la beauté n’a de corps que si elle est éphémère. Personne ne lira !

– T’es content de crever de ta mort belle, faux frère ! Je suis un tourbillon de larmes et de mort, d’écume et d’amour, Adieu…

Ses derniers éclats de rêve, sa raison, tout, tout se dérobe, et effectivement, il se dérobe…

Ils ne tirent pas.

Enfin libre et faible qu’il est, il écrit, ma foi, un fort beau poème. Qui le saura ?

novembre 1989

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