LE VIEUX CHANTEUR

Par Marcabru Dans LA CHANSON DE MARCABRU

la réminiscence est l’essence même de la nostalgie

I – LE SEIGNEUR DE LA NUIT

Ce soir ma folle âme sombre en enfer,
Confuse d’images extraordinaires.
Je vois le temps qui s’oublie sur les pleurs
De mes rêves aurore de l’horreur ;
Immortellement pauvres les vacarmes
-Sensoriels-, les cadavres de mes larmes,
La pleine lune, glissent dans mes veines,
Où le rat ténébreux crève puis se traîne.
L’illusion est source de vérité
Elle se détourne, soupir hésité
Elle s’enfuit en rêveries extérieures.
Je me perds, animal troublé de peur,
Dans mon vieux songe, épris de liberté,
Fièvre jaillie sur un brouillard épais :
Glisse ma paix éthylique en les mains
D’Hypnosis Thanatos et les catins
-Lubriques et coulent sur mes joues tristes-
J’imagine la nuit quand elle existe :
La réminiscence est l’essence même
De l’oubli des mots dits d’un jour je l’aime.
Mon âme coule sur cette vapeur
Délicieuse gouttelée de bonheur,
Ivre de tendresse fleurs d’amour.
Léger et fascinant est le noir détour
Du sommeil et de la nuit. Les enfers
Les torrents du jour, impétueux et fiers,
S’apaisent en un fleuve majestueux.
Ce seigneur nocturne en son lit des dieux
Reste ma seule liberté : l’oubli
De la mort des hurlements de la vie.
J’accède enfin à la réalité,
Celle du non-sens de l’éternité.
Je ne me suis jamais senti partir,
La douce folie que de s’endormir !
Souvent le sommeil n’a de souvenir,
Que les réminiscences du plaisir.
Magiques floues féeriques. Ce soir
L’image vive ne doit pas dépérir,
Je me souviens de mes rêves à venir
Souvenir je crois d’une ancienne gloire.
Et le vieux chanteur me prend par la main
M’accompagne jusqu’au petit matin
Le long de son grand périple onirique
D’où l’univers me paraît bien moins triste.

 

II – LE GRAND PÉRIPLE ONIRIQUE

Le bonheur, c’est juste bon pour les pauvres,
Éclopée de pacotille et de l’or
Je glisse le long de la barre bleue
Vers l’infini d’en bas hasard si pieux
Des rasoirs tranchant les pieds de la rage
Je suis un oiseau blanc dans une cage.
Comme si l’éther nettoyait mes narines
Et purifiait ma vision dans ces ruines,
L’ineffable question du devenir
De mon âme me maudit me trahir
Inlassablement m’appelle et me drogue.
Et pourtant ce test n’est qu’un seul prologue
Sylphides évaporées j’ai trouvé
Les livres des vieux dans leur majesté
Mais de toute façon je m’enfoncerai
En enfer je surgirai harnaché :
Et bienvenus sont les simples d’esprit !
Bienveillants sont les amoureux du lit,
La vie en noir elle défie le temps
Et défile sans souvenir très urgent.

Les dahlias noirs des nuits blanches j’évite
Moi je rêve en vers je rêve très vite !

 

III – LES MOTS ET NAUSÉES

Long fleuve et languissant se poursuit,
Paisible et calme dans la nuit,
Ecoutez les chants fluides et muets
Du glissement seigneur des libertés,
S’immisce s’infiltre sur les plaines vierges,
Horizons radieux, une image émerge.
Quiétude retrouvée je vois la vie
Mono photo noir et blanc. La nuit.
Sur l’eau apparition douce violence
Il me sourit il est là en confiance ;
Le vieux chanteur s’immisce entre mes doigts
Jusqu’au symbole je subis sa loi.
Et nous voici sur son navire cyan
Caresse et fend les ténèbres glissantes,
Les roseaux libertins se rangent autour.
De sa voix pressante comme l’amour,
Il n’a plus de visage quelle beauté !
On raconte de son éternité
Qu’elle est un puissant cauchemar exsangue,
Comme le souffle du cor lointain, qui tangue
Sur les brumes ondulatoires. Ses larmes…
Je lui demande, tout fébrile, ces larmes !
« Marcabru, que deviens-tu vieil ami ?
– Je suis un animal qui pue la vie.
– Mais, vieux chanteur, quel est donc ton bonheur ?
– De quel malheur parles-tu là, maudit ! »
Cruelle émotion sur sa face de peur
« Que je te ressemble ô mon ami !
Crois-moi, tu ne sais même plus pleurer »
Mot de trop qui saura l’illuminer :
« Excessive interrogatoire ! Tuez-le !
Injures vomissantes, buvez-le ! »
Du sang noir suinte le long de son cœur
Il pleurait ! Je n’ai su voir sa rancœur !
Des hybrides indolents sortent de l’eau
Écarlates les sangsues du divin
Braquent et sucent mon visage éteint ;
Je me sens fondre, alors l’effendi
me prend par la main me noie dans la nuit.
Je le comprends, il défend ses interdits,
Mais me voici marqué ô pour la vie
Du sceau indélébile de sa haine :
De l’avoir heurté j’ai bien de la peine.
Couché dans la vase, je l’aperçois,
Cette aura qui défaille et son émoi ;
Il verse les larmes de son sang si noir
Téméraire et ardent, le sang est noir !
Son âme gît au fond d’un puits ténèbres,
Il vide son corps de ses espérances
Le dévide de nostalgie, prière,
Son malheur ne manque pas d’élégance :
Le passé et l’avenir n’y sont plus ;
Aimer, haïr souffrir il ne sait plus,
Condamné à errer dans un espace
Intemporel, Dieu lui dédit sa grâce.

 

IV – PÉRIPLE ONIRIS

Le vieux chanteur, poète dégueulasse
De vie et d’éphémère sa carcasse
Se glisse entre les cuisses de Morphée,
Perverse polymorphe et châtiée ;
Il effleure la mort du cygne en cage,
S’éclate dans les larmes du naufrage
D’anges éphémères des amours immortelles.
Quitter sa pourriture immonde et blette,
Pourquoi respirer une fleur morte ?
Excitant sentiment de chien morose
Les ragoûts de l’espoir sont ravinés.
Les jouissances interdites inexplorées
Du bourreau noir et soldat raffiné
Une lame enchantée se met à pleurer.
Les larmes arrachées à sa vie rance,
Ses vieux rêves sont des traces d’absence
Dans les manoirs sournois la peur grandit.
Un jour il l’a rencontré, l’éperdue,
Cendres d’amour évaluent sa torture,
Duel, le fol espoir contre la raison.
Son chagrin ne manque pas d’horizons,
Se perdra dans l’absurde de sa prose.
-Désert nécrophile mon spleen en rose-
Vogue vogue le navire paisible
Magique magique la douceur de vivre.

 

V – LUX AETERNA

C’est fini. Tout semble un lac fier et calme.
Pourtant, nouveau tableau, nouveau vacarme :
Le chanteur épris ailleurs court et sourit ;
C’est si facile de se ressentir libre !
Crache sa bave dans les prés fleuris
L’air pur de la sincérité l’enivre.
Il se métamorphose en animal,
Délire velu comme un pachyderme
La bête rampante porte le germe
De la liberté, vole en les nuages
Le bonheur n’est-il jamais qu’un mirage ?
Les hommes aperçoivent l’ange qui vole
De leurs flèches acérées ils tuent l’idole,
S’abîme dans le lac aux reflets blêmes.
Une folle ivresse injustement belle
Portait en lui les stigmates du dégel,
Substance même du rêve et de l’oubli,
Navire à la dérive dans la nuit.
Hurle à mourir ! Troubadour fantastique.

 

VI – RÉMINISCENCE…

Et je me perds dans un sommeil sphérique
D’où le temps est banni pour toujours ;
Depuis les cycles se succèdent autour
Du vieux chanteur et de l’océan vide,
Et la nuit s’endort sur son sale bonheur.
Dans l’aurore ses vieux souvenirs se meurent.
Je surgis, las, du gouffre rugissant
Des chants meurtris de mon rêve oppressant.
Je ris ma vie d’opium et d’amertume ;
Pourtant un jour lointain revient l’écume :
Une vastueuse réminiscence
Emplit l’espace violent de mes sens.
Non je ne sais plus et l’air se fait rare,
Avec ses sourires d’orgie délicate.
Je fouille dans les trésors de ma mémoire
Où ai-je vu ce supplice d’ivoire ?
Mais le souvenir vague et incomplet
Se dérobe se lézarde et serait
Les images d’un passé oublié
Et mérité. Rêves extraordinaires,
Confus issus des monstrueux enfers,
Des sylphides lugubres et furtives
D’une réminiscence folle et ivre.
Ce doute, cet acharnement fragile
Cette réminiscence persistante
Me plonge en une langueur délicate ;
La nostalgie, celle des lords disparus
Splendide orchidée du prince Belzébuth,
Ce regret attendri, ce désir vague
Plaie immense du cœur qui vogue, vogue.
Les réminiscences de nos rêves
Disparues sont meurtrières comme du glaive.
Je sais pourquoi le vieux chanteur est mort :
Quand les soupirs de l’âme sont si forts…
Elle est l’essence même de la nostalgie,
Elle sécrète en elle les amours unis
Dans les gouffres surgissant de la nuit.
J’ai mal et je rêve, je râle et je pleure,
Éternelle souffrance, brève horreur,
Celle, je me souviens bien, du vieux chanteur ;
Condamné à errer sans repère
Dans un vide intemporel, la misère.
La mort en est une suave langueur.

février – juillet 1990

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